4/04/2009

L'exposition est intéressante et provocante, elle prend des risques et ouvre des séries de questions.
"En pleine queue de comète d'un certain post-modernisme, Vides est aussi une contribution au débat sur la répétition et la reproductibilité de l'exposition qui est enfin devenue un objet d'analyse d'histoire de l'art." Ecrit Laurent Le Bon dans le catalogue de l'exposition (Qui ne risque rien n'a rien, pp.164-165).
Comment faire la différence entre, d'une part la "répétition de l'exposition" ou la "rétrospective d'exposition" et d'autre part la répétition de l'oeuvre, considérant que toutes les oeuvres ici, dans leur moment non-rétrospectif, se confondent avec leurs expositions (sauf peut-être Art & Language et Parsons)? Le débat sur la répétition de l'exposition n'est-il pas d'abord un débat sur la répétition des oeuvres exposées?
"Vides" met en question une réponse simplement affirmative à cette question. Ce qui alors implique que nous aurions à distinguer les expositions d'expositions d'oeuvres des expositions d'expositions sans les oeuvres dont elles étaient initialement investies. Mais alors comment comprendre cette phrase de Laurent Le Bon : "Chaque salle correspond à une exposition qui est aussi une oeuvre." (p.163)?
D'autre part, sous le terme "rétrospective" nous trouvons certaines des oeuvres plus actuelles que rétrospectives (comme celle de Barry, "Experimental situation /.../ 1970 - en cours" et celle de Brouwn, "un espace vide dans le Centre Pompidou, 2009") et l'on se demande alors quelles sont les oeuvres qui peuvent être répétées par d'autres personnes que l'artiste (pour avoir fait l'objet d'un transfert) et celles qui ne peuvent pas l'être (un cas clairement illustré par Asher)?
La première série de questions est ouverte par un problème de taxinomie. Comment situer sur un même plan des expositions rétrospectives avec des expositions d'oeuvres actuelles, des expositions d'exposition (Klein) et de non-exposition (Parsons) qui ne sont pas des oeuvres (?) avec des expositions d'oeuvres?

Le catalogue nous donne les clés pour comprendre le fonctionnement de chaque oeuvre dans son moment non-rétrospectif en s'appuyant sur des documents. Il nous permet de saisir la consistance, au moins minimale, de ce qui est nommé sous chaque titre et de comprendre ou d'entrevoir en quoi l'oeuvre est répétable, itérable, d'une fois l'autre ou pas (son idée générale et le principe de répartition de ses variables).
Des oeuvres comme celles de Klein, de Weiner, de Asher ou de Buren et de beaucoup d'autres artistes qui ont confondu l'oeuvre avec son exposition nous ont appris à être sensibles au "mode d'existence" des oeuvres. C'est à dire non seulement à ce qu'elles sont, mais aussi à la façon dont elles sont inscrites dans le monde tangible. Ces oeuvres qui se définissent par un fonctionnement "interne" se définissent tout autant par leurs rapports à des systèmes externes.
L'oeuvre n'existe pas dans un vide, mais dans le cadre matériel et technique (qui n'est pas un "supplément") avec lequel elle est actualisée. Ce cadre technique est entrelacé avec un cadre documentaire qui en régule les pratiques.
Klein avait mélangé ses peintures lui-même et peint les murs, on entrait dans la salle en traversant un rideau... Irwin avait parait-il préparé ses murs en fonction d'un savant éclairage. La salle de Art & language demande la présence réelle bien que discrète d'un climatiseur (un "marqueur visuel", disent les artistes, qui figure dans leur modèle d'installation reproduit dans le catalogue). Ces cas suffisent à nous faire penser qu'il pourrait y avoir des variations entre les salles. Ces variations ne semblent pas fondamentales pour les oeuvres exposées qui s'accommodent toutes de murs peints en blanc et d'éclairages uniformément répartis dans l'espace. Malgré tout, nous sommes frappés par l'uniformité des présentations. Ce à quoi beaucoup de visiteurs ont réagi.
Cette uniformité a de toute évidence initialement présidé à la sélection des oeuvres. Mais au-delà de cette part créative qui revient au commissariat est ouverte une question touchant à l'initiative créative des commissaires dans la production des oeuvres elles-mêmes.

En l'absence de modulations des cadres techniques, considérant la variété des statuts ou des modes d'existence des choses montrées, oeuvres ou non-oeuvres, on peut accepter de soustraire du cadre documentaire tout protocole d'installation et même supposer qu'ils n'existent pas. Mais il ne reste pas moins un cadre documentaire qui pourrait nous permettre de préciser les conditions dans lesquelles chaque exposition et/ou une oeuvre est itérable dans cette exposition.
Ainsi il me semble que nous ne trouverons de réponses et de relances aux questions posées plus haut que dans la mesure où nous trouverons des réponses à des questions du type suivant :

KLEIN tendait à chosifier ses zones de sensibilité picturale immatérielles, même si, comme le dit Restany (sous la photo de la salle vide dans le catalogue du Salon Comparaison en 1968), "/.../ ni les murs, ni les dimensions de la salle où elle se trouve exposée ne correspondent à sa vraie réalité". On se souvient aussi des cessions de zones de sensibilité picturale immatérielle en 1962 associés à tout un protocole contractuel. La chose disait-il avait un prix. Cela, écrit Klein, motivait le prix d'entrée de l'exposition (vide) chez Iris Clert en 1956 (qui pouvait être vendue d'un bloc ou "par lambeaux"). Il est difficile de ne pas mettre ces épisodes en résonance avec la formulation de la loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique qui est assimilée à un bien immatériel et à une propriété incorporelle.
"Vides" expose l'exposition qui a eu lieu chez Iris Clert en 1956. Pas une zone de sensibilité picturale, mais plutôt un espace investi du souvenir de cette "sensibilité picturale" (qui n'est pas très différent de son actualité).
Dans le catalogue, Mathieu Copeland précise que le Musée Haus Lange à Krefeld où Klein avait présenté une salle vide en 1961 a été réactualisée en 1991 et conservée depuis sous le nom de "salle vide" sans le nom de Klein, et qu'elle n'est pas portée à l'inventaire du musée. On devient alors curieux de savoir sur quelles bases on peut exposer une salle vide avec le nom de Klein. Il me semble important d'en préciser la formulation partagée avec les ayants droit. Si cette relation est scellée par un contrat l'exposition deviendrait-elle de ce fait répétable à nouveau?

L'affiche, le texte, de ART & LANGUAGE (1966-1967) a pour référent une chose qui se rattache à la sculpture, une chose matérielle bien qu'invisible et conceptuelle dont la spécifité n'est cependant pas fixée par la description. Dans l'exposition "Vides" l'oeuvre virtuelle est passée dans une actualité et trouve une forme spécifique. C'est la seule salle qui porte un cartel où figure le nom d'un prêteur. Il s'agit donc d'une oeuvre qui a fait l'objet d'un transfert mais nous n'en savons pas plus. Il serait intéressant de savoir si elle existe en un exemplaire unique ou en plusieurs (comme les affiches) et dans quelles conditions se fait cette itération (J'ai entendu dire qu'elle aurait été actualisée pour la première fois à New York en 1972). Ce passage de la virtualité à l'actualité par l'intermédiaire du collectionneur et des commissaires est très intéressante. C'est pour cela que les documents contractuels liant les différents partenaires me semblent participer de l'intelligibilité de l'oeuvre et de son mode d'existence.

L'oeuvre de BARRY et titrée "/.../, 1970 - en cours." Première présentation à la galerie Sperone, Turin , 1970. On peut supposer que l'oeuvre présentée dans "Vides" est la même oeuvre que celle présentée en 1970 et qu'elle a peut-être fait l'objet de présentations entre temps (ce qui n'est pas précisé dans le catalogue). On ne sait pas si cette oeuvre a été présentée plusieurs fois depuis 1970 ou si c'est la même oeuvre qui se prolonge depuis 1970. L'oeuvre est prospective autant que rétrospective et en l'absence du nom d'un prêteur sur le cartel, on peut supposer que le "prêteur" est l'artiste lui-même et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un transfert. Une ambiguïté demeure cependant quant à savoir dans le cadre d'une "rétrospective" qui du prêteur ou des commissaires expose cette oeuvre. Là aussi des documents ne pourraient qu'ajouter à notre plaisir de comprendre.

Le catalogue reproduit une lettre de Douglas Chrismas, directeur de ACE gallery, datée du 16 juin 2003 à IRWIN où il lui propose d'acquérir son exposition à ACE de 1970. L'oeuvre a-t-elle été cédée par Irwin? Si cela est le cas, est-elle accompagnée d'un certificat ou d'un protocole? Ou bien s'agit-il d'un "prêt" par l'artiste? Cela nous permettrait de mieux comprendre ici aussi les conditions dans lesquelles se fait sa répétition (les prêteurs ne sont pas listés dans le catalogue).

On comprend mal la position occupée par PARSONS vis a vis de cette initiative de montrer une exposition sous son nom. L'artiste n'a, semble-t-il, jamais revendiqué cette non-exposition comme une oeuvre. Sa position aurait-elle changé? Cette initiative a-t-elle été prise à la suite d'un simple accord verbal?

On se demande ce qui de Haus Esters Piece de HEWS peut être répété au Centre Pompidou. S'agit-il de transposer le souvenir de cette exposition ou de la réactualiser avec l'architecture du bâtiment? Les deux à la fois peut-être, mais il serait intéressant d'en savoir un peu plus sur les intentions partagées entre artiste et commissaires.

Cette même question se pose pour EICHHORN dont l'oeuvre présentée à la Kunsthalle de Berne (2001) s'inscrit de façon dynamique dans un contexte qui dépasse le périmètre du cube blanc. On sait aussi l'importance qu'elle donne aux jeux d'écriture.

L'oeuvre de ONDAK pose à peu près les mêmes questions que celle de Barry bien que son exposition soit peut-être moins problématique.

L'oeuvre de BROUWN, "Un espace vide dans le Centre Pompidou, 2009", est la dernière dans le parcours chronologique et le point de contact avec maintenant. Ici encore, les mêmes questions.

Dans l'introduction du catalogue, il est fait mention d'échanges soutenus avec les artistes. Si ces échanges se sont substitués à des relations contractuelles plus formelles, ne demeure-t-il pas un jeux d'écritures à l'interface de chaque oeuvre qui, en l'absence de tout signe extérieur de différence, pourrait nous mener à mieux préciser son mode d'existence ou d'inscription?
Voilà ce qui, me semble-t-il, pourrait nous aider à mieux réfléchir, nous les visiteurs de l'exposition et les lecteurs du catalogue, sur des différences entre des expositions rétrospectives, des expositions d'oeuvres actuelles, des expositions d'exposition (ou de non-exposition) qui ne sont pas des oeuvres et des expositions d'oeuvres. Même si c'est pour finalement mettre ces catégories en question.

Alain Viguier